Monnaies locales, vers de nouvelles habitudes de consommation sur le territoire ?

Comment l’utilisation de monnaies locales permet-elle de renforcer les dynamiques de développement durable d’un territoire et sa stratégie de résilience ?

Temps de lecture :  3 min – 30 octobre 2020 – L’équipe de LaVilleE+


Photo de la poche arrière de jean d'une personne dans laquelle se trouve un porte monnaie
Les initiatives de monnaies locales se font de plus en plus nombreuses sur le territoire. Plus qu’un simple moyen de paiement, ces monnaies ont pour but de favoriser l’économie circulaire locale et de (re)créer des liens sociaux. Les associations mettant en place ces systèmes cherchent aussi à favoriser le vivre-ensemble et valoriser l’identité locale. Ces initiatives, en plus de se multiplier, se modernisent en se numérisant pour agrandir toujours plus la communauté d’utilisateurs. Un levier intéressant pour une transition de nos territoires vers des systèmes plus résilients et durables !

La monnaie locale, catalyseur du développement durable ?

Vous avez dit monnaie locale ?

« Une monnaie complémentaire est une monnaie qui peut être utilisée en complément de la monnaie officielle. Nul n’a obligation de faire ou de recevoir un paiement en monnaie complémentaire, il se fait uniquement si l’acheteur et le vendeur sont d’accord. La monnaie étatique garde donc toute sa prééminence, mais elle n’est plus unique. », pour reprendre la définition de Philippe Herlin, docteur en économie.

En France, c’est suite à la loi de juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) que les monnaies locales complémentaires ont été reconnues comme monnaies complémentaires à l’Euro. Des initiatives ont commencé à éclore partout sur le territoire.  Plus de 50 initiatives évoluent sur le territoire pour répondre à des enjeux de territorialisation et de connexion des circuits courts d’échanges. L’objectif est ainsi de pérenniser des comportements, des échanges éco-responsables et citoyens à l’échelle locale. 

2 règles principales encadrent ces initiatives pour qu’elles  « apparaissent  comme  la forme  politique  d’une communauté   de  paiement »  (Théret, 2008)

  • L’émetteur de la monnaie doit appartenir à une structure de l’Économie Sociale et Solidaire 
  • Les titres de monnaie locale ne doivent pas être remboursables 

“ Le caractère citoyen des monnaies locales ne tient pas à leur émetteur mais à leur territoire. Non seulement elles ne peuvent se nourrir de spéculation privée mais elles irriguent le territoire sur lequel elles sont admises et lui seul, passé ce territoire, elles perdent toute valeur, deviennent objet de curiosité et plus moyen de paiement.”

MARTIN, Bénédicte. Le numérique au secours des monnaies locales et complémentaires. Un enjeu de territorialisation et de connexion des circuits courts d’échange. Netcom. Réseaux, communication et territoires, 2018, no 32-1/2, p. 163-182.

Et concrètement, quels sont les impacts positifs ?

Les monnaies locales complémentaires sont un moyen de soutenir l’économie locale et de développer les interactions sociales. C’est donc un réel catalyseur de dynamiques territoriales à la fois économiques, sociales et environnementales. Elles s’inscrivent dans le développement de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Ces monnaies, ou plutôt ces moyens d’échange, reposent plus sur le lien entre les parties prenantes que sur leur caractère économique d’accès à des biens. C’est un vecteur d’unité territoriale et sociale. 

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Exemple : Encourager les comportements impactants : Le Belfast Coin

A Toulouse, deux botanistes du Muséum de Toulouse se promènent régulièrement dans les rues pour effectuer un inventaire de la flore sauvage dans le centre-ville. Ils notent à la craie sur le trottoir le nom des plantes rencontrées. Suite à un atelier organisé par le réseau 100 Resilient Cities, la ville de Belfast a développé une monnaie locale afin d’encourager les comportements à impact positif. Dans ce cadre, aider son voisin, participer à des animations sociales et environnementales, trier ses déchets ou faire des dons à des associations par exemple permet de gagner des “coins”. Toutes ces activités, qui ont des impacts positifs sociétaux et environnementaux, sont donc encouragées. La monnaie fonctionne comme un “nudge”, et encourage les citoyens à adopter des comportements éco-responsables et solidaires.

Certains systèmes de monnaies complémentaires cherchent à densifier massivement les liens et les échanges. Pour cela, ils font appel au système des monnaies dites “fondantes”. Grâce à la valorisation et la dévalorisation de la valeur de la monnaie, les utilisateurs sont encouragés à utiliser leurs coupons rapidement et non pas à les conserver. La consommation locale est donc privilégiée pour les achats du quotidien, permettant de consolider les écosystèmes de circuits courts dans une logique de boucle. Cela permet de créer des bassins de vie sur les territoires, dynamisant les activités locales et citoyennes. 

“ Nous ne voyions plus la monnaie uniquement sous sa forme de marchandise appropriable comme chez les théoriciens monétaristes, mais aussi comme un médium social universel. Nous considérions que la formation de la valeur était dans la fonction sociale de la monnaie, medium social universel.

BOURDEAU-LEPAGE Lise, KEBIR Leïla, « Regards sur les questions d’actualité. Une interview de Michel Aglietta », Géographie, économie, société 4/2013 (Vol. 15), p. 413-420

Localité et modernité, la monnaie s’adapte à son temps

Les monnaies locales à l’assaut du numérique

Les monnaies locales complémentaires se dématérialisent de plus en plus. Dans un souci de démocratisation, cet outil cherche à accéder à un public plus large. Le processus classique de change de ces initiatives qui se fait en physique tend donc à se numériser afin de lever ce frein à leur développement. Pouvoir transférer de l’argent de compte à compte, payer avec une carte mais aussi suivre ses fonds en ligne offre une réelle amélioration de l’expérience des utilisateurs de ces monnaies. La monnaie peut passer à une autre échelle de services tout en améliorant sa fluidité.

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De même, les innovations techniques qui se font dans le domaine permettent de sécuriser cet outil. C’est le cas de la solution blockchain qui propose à la fois efficacité, transparence et protection des données. 

Exemple : Le Rollon en Normandie, une monnaie 100% numérique

Cette monnaie locale normande, d’abord développée à Saint-Lô, a pour particularité d’être 100% numérique. C’est sur une application que les citoyens peuvent convertir leurs euros en rollons. Cela en facilite donc l’usage avec des paiements possibles par carte ou directement par le biais de son mobile. Cette plateforme numérique recense aussi les acteurs partenaires de l’initiative afin de créer de vraies dynamiques de proximité. Le réseau est d’ailleurs encadré par certaines conditions : ne peuvent rejoindre l’initiative que les commerces qui respectent certains critères d’éco-responsabilité. 

Un outil de résilience territoriale locale

Porté par des initiatives citoyennes, un impact positif plus large peut être atteint avec un partenariat transversal entre les différentes parties prenantes – notamment avec les élus. Déjà, des acteurs se mobilisent pour utiliser cet outil comme levier de transition vers des territoires plus résilients et durables. Cet outil de transaction permet de pérenniser les échanges et les solidarités sur une échelle locale.

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Plus qu’une mise en valeur des activités locales, les monnaies locales permettent de (re)dynamiser des bassins de vie en soutenant à la fois l’identité territoriale et les solidarités socio-environnementales liées. 

Exemple :  L’Eusko Basque, une monnaie au service du territoire, de ses acteurs et de sa culture

L’Eusko est l’une des monnaies locales complémentaires la plus utilisée sur le territoire français. Présente dans le Pays Basque, cette monnaie développée en 2013 se veut à la fois soutenir l’économie locale, engager une consommation éco-responsable mais aussi défendre la culture et la langue basque. Le nom de la devise, “Euskoa denen esku” signifie en basque « L’eusko dans les mains de tout le monde », illustrant donc les valeurs portées par l’initiative. Pour rejoindre cette communauté, les commerçants et associations doivent relever au moins deux défis : un pour l’environnement, et un pour l’euskara, la langue basque. Cela signifie par exemple faire le tri de ses déchets et proposer un affichage bilingue dans son enseigne.

De même, l’initiative a mis en place le « 3% Assos ». Lors de l’adhésion, l’utilisateur peut choisir une association à parrainer, qui recevra 3% du montant des changes effectués par la personne, le tout en eusko.

Des cartes de crédit et des comptes en ligne ont même vu le jour pour encourager et faciliter l’appropriation de cet outil. En mars 2019, la somme en circulation de cette monnaie, grâce notamment à l’Euskokart, est de plus de 1 200 000 eusko, soit la première monnaie locale complémentaire d’Europe en importance.

Source

Ce ne sont plus seulement des villes ou des métropoles qui sont concernées mais bien des régions, pour créer des monnaies régionales complémentaires. C’est notamment le cas de Jean-Philippe Magnen, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire de 2010 à 2015 qui parle de “créer de vrais systèmes intégrés”. 

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