RECYCLAGE FONCIER : REGENERER LES ESPACES URBAINS DELAISSES

Comment reconstruire la ville sur la ville ? Comment restaurer l’attractivité et recoudre les trames vertes et bleues ? Comment construire des projets adaptés aux défis à venir ?

Temps de lecture :  8 min – 23 mars 2022 – L’équipe de LaVilleE+


Friche industrielle abandonnée, végétation
La forte désindustrialisation de la France depuis les années 70 a fait apparaître sur le territoire un nouveau type d’espace : les friches. Caractérisées par la nature de leur activité passée (industrielle, ferroviaire, portuaire, commerciale, agricole)., elles sont au cœur de nouvelles dynamiques territoriales, à la fois politiques, environnementales, alimentaires, économiques, patrimoniales ou encore culturelles.A l’heure de la ZAN (Zero Artificialisation Nette), face aux enjeux de développement urbain, le recyclage foncier apparait aujourd’hui comme un impératif…

Fin 2021, près de 4 200 sites en friches étaient répertoriés par le Cerema sur le territoire hexagonal (Cartofriches CEREMA, 2021). La pression foncière et les injonctions environnementales pouvant parfois se contredire, le recyclage foncier devient la meilleure solution.

Depuis 2014, le recyclage foncier est mis en avant dans divers textes législatifs, preuve de l’importance croissante donnée à ce sujet :

Il est facile de constater autour de nous la pression croissante de l’urbanisation sur les espaces libres. 

2 options s’offrent à nous si nous voulons répondre aux besoins de logement, d’activités économiques, d’équipements éducatifs, sportifs et culturels.

Soit nous poursuivons l’artificialisation des terres agricoles, des espaces naturels et des espaces forestiers, en courant le risque de réduire notre résilience alimentaire, d’accroître la disparition de la biodiversité et la dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles…. 

Soit nous choisissons de reconquérir les terres déjà artificialisées par l’homme. Tantôt visibles et tantôt discrètes, ces précieuses réserves foncières sont au cœur de ce que l’on peut appeler le recyclage foncier.

La Banque des Territoires pose clairement l’enjeu : reconquérir les esprits et redonner vie à nos territoires.

« Reconquérir les friches, c’est reconquérir les esprits, c’est modifier les représentations de l’industrie, c’est se remobiliser sur le destin productif de nos territoires. Reconquérir les friches, c’est se réapproprier son identité et son héritage industriel, c’est redonner vie à des pans entiers de nos territoires »

Banque des Territoires

Plusieurs problématiques se posent à nos territoires pour se lancer dans cette reconquête…

Dans quelle mesure la reconquête des friches peut-elle devenir un levier clé pour accompagner les besoins de développement urbain face à l’extension urbaine/l’étalement urbain dans le contexte de la ZAN  ? 

  • Pourquoi le recyclage foncier des « friches » est-il un formidable outil pour limiter l’artificialisation et l’imperméabilisation des sols ?
  • La requalification des friches par des projets immobiliers ou de « ville productive » est-elle une réponse efficace à la nécessaire dépollution des sites ? 
  • En quoi la reconquête des friches permet-elle un regain de biodiversité ?

En quoi le recyclage foncier est un enjeu “vital” pour la ville de demain ?

Aller vers moins de consommation foncière

Au vu des enjeux écologiques globaux, de la volonté de préservation des terres fertiles et de l’objectif “Zéro Artificialisation Nette” (ZAN), le recyclage foncier devient un outil incontournable afin de limiter la consommation foncière répondant aux besoins de développement de nos villes. 

Fort de ce constat, l’État a mis en place le “Fonds Friches”, un fonds destiné au financement du recyclage de friches. La première édition du Fonds Friches a permis de traiter 1300 hectares, plus de 3 400 000 m² de logements dont près d’1/3 de logements sociaux, et plus d’1 600 000 m 2 de surfaces économiques (bureaux, commerces, industrie…). (Les lauréats du fonds pour le recyclage des friches, Ministère de la transition écologique, 2021)

. Quant à la 2e édition, elle a permis de recycler plus de 1100 ha de friches, de générer plus de 1 833 000 m2 de logements (environ 25 000 logements, dont 40 % de logements sociaux). (Les lauréats du fonds pour le recyclage des friches, Ministère de la transition écologique, 2021)

La 3eme édition a été lancée par le gouvernement le 15 février 2022 dans le cadre du plan de relance avec une dotation de 100 Meur. https://www.ecologie.gouv.fr/recyclage-des-friches-lancement-3e-edition-du-fonds-friches

Recycler le tissu existant pour régénérer le territoire

Le recyclage de friches (industrielles, commerciales, ….) offre une opportunité pour régénérer le territoire. Bien sûr, une transformation physique des sols et des bâtiments est opérée, mais il faut envisager les impacts du recyclage d’une manière beaucoup plus large et transverse. Il ne s’agit pas seulement de reconstruire mais de trouver de nouvelles vocations aux espaces urbains délaissés. Le recyclage foncier peut être à l’origine d’une politique de régénération plus globale pour un territoire en implémentant de nouvelles activités ou en permettant la reconquête d’un secteur en déclin suite à une crise. L’amélioration du bâti, des mobilités et de l’environnement autour de cette emprise foncière peut aussi générer de nouvelles dynamiques économiques et sociales à l’échelle d’un quartier ou d’une  ville.

Exemple : Usines de Navarre à Évreux Portes de Normandie (EPN)

Les Usines de Navarre se trouvent aujourd’hui être « une entrée de ville » de la ville d’Évreux. Idéalement situées, à l’interface entre ville et campagne, cette réserve foncière pourrait demain répondre à divers enjeux, comme la création d’un parc urbain autour du cours de l’Iton ou l’installation d’activités culturelles et de santé.

Une concertation et un processus de dialogue avec l’État, les partenaires publics locaux et les acteurs privés, permettra de confirmer la faisabilité d’un projet à la fin du 1er semestre 2022. L’atelier collaboratif en réunion publique du 12 janvier 2022, fut un réel succès ! (80 participants en mode co-construction)

Les franges urbaines, terreau de friches à forts enjeux

De très nombreuses friches sont situées sur des franges urbaines.

Situées en bordure des espaces urbanisés, les franges urbaines sont des interfaces qui remplissent diverses fonctions : entrées ou sorties de ville, espaces de relégation ou balcons sur la campagne environnante, elles mêlent espaces bâtis et non-bâtis. Leur organisation spatiale est souvent l’héritage d’une succession d’aménagements et de pratiques locales sans ordre apparent. Jusqu’à récemment, ces espaces de transition entre la ville et son environnement immédiat n’étaient pas pensés en termes d’urbanisme et de planification autrement que comme des lignes délimitant des « vides » à remplir sans se soucier du traitement de leurs abords.

Or, parce qu’elles sont l’occasion d’extensions urbaines et accueillent de nouveaux équipements, ces interfaces ville-campagne concentrent de forts enjeux d’aménagement, d’attractivité, d’organisation des mobilités et de gestion de l’environnement.

Les franges urbaines sont des lieux essentiels où se concentrent de multiples enjeux et activités. Ce sont à la fois des lieux de vie composés d’habitation, de lieux de travail ou d’institutions scolaires qui peuvent parfois cohabiter avec difficultés avec les activités agricoles alentour, notamment les pulvérisations de pesticides en agriculture conventionnelle qui rendent la qualité de l’air inquiétante pour les riverains. Ce sont également des lieux de production, d’activités économiques et de loisirs et d’infrastructures et services logistiques qui pâtissent du manque de raccordement aux centres urbains en dehors de la voiture. En effet, la question de la mobilité y est souvent peu pensée en lien avec le reste du territoire, ce qui freine le développement des mobilités durables en lien avec ces activités. 

Ainsi, les franges urbaines sont constituantes du tissu urbain à part entière. La réactivation des friches qui se trouvent sur ces pans de territoire est une opportunité d’adaptation du modèle urbain face aux défis du changement climatique. Les friches localisées sur des franges urbaines nécessitent donc, encore plus, de penser les projets en termes de continuité urbaine, de raccordement aux centres et en synergie avec les activités et ressources déjà présentes mais souvent éparses. 

C’est pour ces raisons que les friches de franges urbaines nécessitent de porter une attention toute particulière au contexte local. Le recyclage foncier sur ces zones ne peut être réussi qu’en co-construisant  les projets avec les acteurs locaux, élus, citoyens, associations, les partenaires économiques et culturels.

Quels sont les freins à la réhabilitation des friches ?

Complexités administratives et coûts de la dépollution

Les complexités administratives des procédures pour candidater aux différents appels à projets (projets régionaux, ADEME, France Relance) puis tout le processus de sélection et d’inscription dans un dispositif contractuel avec l’Etat (Petites villes de demain, Action cœur de ville, mais aussi opération de revitalisation du territoire, projet partenarial d’aménagement, territoires d’industrie…) constituent un réel frein à la réhabilitation de friches. (Les lauréats du fonds pour le recyclage des friches, Ministère de la transition écologique, 2021)

De plus, l’absence de définition harmonisée sur le plan juridique rend le recensement et donc l’identification des zones à potentiel très difficile. (Réhabiliter les friches : une opportunité environnementale et économique ?, Vie Publique, 2021)

Ensuite, les coûts de dépollution et de réhabilitation sont souvent très importants. Ils peuvent freiner les projets dans un contexte de coûts d’acquisition de foncier élevés et de limitation de la densité bâtie acceptable par la population, en premier lieu les voisins. L’équilibrage économique, la difficile équation à résoudre pour les opérateurs privés ! (Réhabiliter les friches : une opportunité environnementale et économique ?, Vie Publique, 2021

Enfin, au-delà de la réhabilitation des friches, on dénote une absence de volonté de l’action publique pour mieux prévenir leur formation, ce qui participe de leur accroissement. La création de friches pourrait être limitée grâce à un travail sur la limitation des réglementations les favorisant, en accentuant la réversibilité des bâtiments et la mutabilité des espaces (en premier lieu les parkings), en simplifiant les procédures administratives et en revoyant la fiscalité (taxes foncières, droits de mutation, imposition sur les plus-values foncières). (Réhabiliter les friches : une opportunité environnementale et économique ?, Vie Publique, 2021)

Exemple : Bois Sacré, La Seyne-Sur-Mer, un ancien dépôt pétrolier aujourd’hui redevenu une colline boisée vue sur mer. Futur parc urbain ou futur quartier ?

Bois sacré est un projet exceptionnel. D’abord vécu comme un ancien site industriel partiellement dépollué, le site pourrait aspirer demain à devenir un lieu recherché; pour son offre d’habitat résidentiel et touristique de qualité, pour son calme, ses services comme une restauration gastronomique ou encore une programmation dynamique en matière d’art et de culture.

3 mois de concertation publique avec les citoyennes et citoyens de la Seyne-Sur-Mer ont permis de faire émerger des axes forts du futur projet urbain. La co-construction au cœur du projet de reconquête !

Histoire, identité et réappropriation citoyenne des friches

Recycler des friches urbaines relève également d’une activité sensible étant donné l’histoire souvent riche et l’appropriation profonde de ces territoires. Les friches sont fréquemment investies, de manière temporaire ou durable, par des collectifs ou associations. Leur présence ouvre le débat et propose une autre vision de la manière de penser la ville. Ces groupes sont souvent porteurs de demandes spécifiques. Parfois en opposition avec des logiques économiques, leurs actions peuvent aller à l’encontre des processus traditionnels de la planification. Cela ajoute de la complexité à la production de projet de renouvellement urbain. Ces dernières décennies, de nouveaux groupes défendant des causes environnementales se sont également emparés de certaines friches, cette défense prenant parfois la forme plus extrême de ZAD. Il est donc nécessaire de mobilser un large écosystème d’acteurs et de parties prenantes pour réussir l’élaboration de projets de renouvellement.

Exemple :  La friche Saint Sauveur à Lille

23 ha au centre de la ville: le tribunal administratif de Lille (Nord) a annulé le projet d’aménagement de la friche Saint-Sauveur porté par la Ville de Lille et la Métropole européenne. (Friche Saint-Sauveur, Lille Actu, 2021)

Les continuités écologiques, agricoles, facteurs clés de succès de ces nouveaux paysages

En recyclant, il ne s’agit pas seulement de revaloriser économiquement un site. La restauration des trames vertes et bleues est au cœur de l’opportunité.

Naturels ou agricoles, ludiques ou protecteurs, ces espaces sont précieux pour notre société.

Vu du ciel, l’enjeu nous saute souvent aux yeux. La révolution industrielle a souvent fait émerger ces précieux fonciers à proximité de l’eau. Force motrice ou moyen de transport, le projet est une occasion de repenser le rapport à l’eau. Plutôt que de lutter contre l’eau, des agences d’urbanisme et d’architecture innovantes comme l’AUC ou TER proposent de l’intégrer au cœur des projets. Cette fonction hydraulique retrouvée génère de nouveaux atouts : lutte contre les inondations, recréation d’espaces riches en biodiversité, espaces de loisirs conviviaux et mutables au cours des saisons…

Dans le cadre des Projets Alimentaires Territoriaux, ces espaces nous intéressent tout particulièrement. Un site est inadapté au logement du fait d’un risque inondation ? Pourquoi ne pas le reconvertir en espace agricole… Pollué ? il peut être reconquis par une ferme urbaine productive hors sol (ex BIGH https://bigh.farm/fr/home/ ) ou un équipement hébergeant un groupement de producteurs pour renforcer la visibilité d’une offre maraichère locale (PNA, EGALIM,…)

« Si nous voulons nourrir la ville et la campagne, il faut intégrer l’agriculture urbaine dans la ville mais aussi intégrer la ville dans les concepts ruraux et locaux. En créant des ceintures nourricières efficaces, nous pouvons développer des interfaces fertiles et régénératrices entre le monde rural et la ville.

Ces franges urbaines périphériques , lieux de l’étalement urbain,  doivent être repensées, revalorisées, repriorisées.

Il faut mettre à jour notre logiciel d’aménagement de l’espace urbain ! »

Steven Beckers de BoPro

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