Villes et crises, Résilience se conjugue au pluriel
Comment les villes font-elles face aux crises ? Comment des stratégies de résilience pourraient-elles mieux préparer les territoires ?
Temps de lecture : 4 min – 27 Août 2020 – L’équipe de LaVilleE+

Les crises liées à la pandémie du COVID 19 ont profondément impacté la gouvernance et l’usage des territoires et des villes. Le manque d’adaptabilité de nos territoires pour absorber les défis de telles crises a montré l’importance de développer et de mettre en place des stratégies de résilience. Dans cette quête, il s’agit de répondre aux enjeux du triptyque du développement durable – environnement, société et économie – tout en gardant un caractère adaptable et inclusif, afin de faire face aux enjeux et crises à venir, qu’elles soient sanitaires, sociales, économiques mais également environnementales. Différents modèles d’organisation et de physionomies de villes sont pensés pour répondre à ces enjeux : Smart-city, Safe-city, Eco-city, Ville Malléable, Ville Productive, Ville du Quart d’Heure, etc.
Territoires et crises
Monde d’avant, Monde d’après
Du 17 mars au 11 mai 2020, les français se sont confinés. Durant cette cinquantaine de jours, les dynamiques urbaines ont été profondément transformées – et le sont encore. Dans un monde globalisé, dont l’essence même est l’échange mondialisé et les espaces centraux, une subite fermeture des frontières ainsi qu’un arrêt quasi-total de plusieurs circuits de production ont eu lieu. A toutes les échelles, les dynamiques territoriales ont été profondément touchées par cette crise sanitaire du COVID 19. Les activités sociales, économiques, gouvernementales et environnementales ont subi et continuent à subir des dérèglements de grande ampleur.
Cela a permis d’engager une réflexion sur la conception même des territoires en matière d’organisation du travail, de mobilité et de consommation – production, distribution, commerce -, de la gestion de crises mais aussi et surtout aux stratégies de résilience.
“Elle (la crise sanitaire) a mis en exergue les inégalités sociales et territoriales tout comme les discriminations et nous invite collectivement à proposer des solutions pour y répondre et penser un monde plus inclusif et moins inégalitaire pour demain”
Rapport du Conseil National des Villes “Panser le présent, penser les futurs”
Les crises dans les territoires
Les crises viennent désaccorder le rythme du fonctionnement des différentes échelles de nos territoires et mettent aussi en exergue les failles de ce dernier. Elles mettent aux défis la gouvernance et l’usage des territoires. Les activités de la ville sont perturbées lors de ces périodes. Les formes actuelles de l’habitat, des échanges, du travail, de la mobilité, de l’éducation, des loisirs, de la santé et du rapport à la nature montrent leurs limites et ne demandent qu’à être réinventés sous une forme plus résiliente, adaptée à la division territoriale dont elle a retenu l’intérêt. .
Pour aller plus loin : La ville en rythmes : l’essor du chrono-urbanisme, de la ville du quart d’heure et de la ville malléable
Crises sanitaires avec la pandémie du COVID 19, crises financières et économiques telles celles des Subprimes en 2007-2008, crises sociales avec les Gilets Jaunes et enfin urgence climatique, ce sont tant de défis à relever pour nos sociétés. Les territoires sont déjà en action, se servant de ces événements comme catalyseur de changements pour dessiner une nouvelle trame urbaine, périurbaine et rurale.
Agir en réaction ou combattre les problèmes
Les villes et territoires comme laboratoires, la culture d’innovation comme ressort
Face à ces crises, différentes mesures sont prises. Les territoires durant ces périodes de déséquilibres deviennent de véritables laboratoires d’initiatives développées en réaction aux problèmes rencontrés. Un nouveau pilotage urbain a lieu, mobilisant tous les acteurs des territoires et des villes : les entités publiques, les acteurs privés et les citoyens.
On peut penser à la création des “coronapistes” dans plusieurs villes du monde pour désengorger les transports en commun, et donc limiter la propagation du COVID 19. A Paris, c’est plus de 150km de pistes cyclables qui ont été créés avec une méthode temporaire inspirée de l’urbanisme tactique.
Pour aller plus loin : Quand le vélo s’invite dans le service de livraison, rencontre avec la coopérative « les Coursiers Nantais »
De même, lors de catastrophes naturelles, les usages des lieux sont modifiés, s’alignant avec les principes de la ville malléable. Les gymnases ou hôpitaux de campagne sont utilisés comme des hôtels, les écoles comme lieu d’approvisionnement, les parcs comme lieu de campement de fortune, etc.
Limiter les effets des crises
Ce facteur d’urgence ne permet pas de constituer une forme directe de résilience car il s’agit de répondre le plus vite possible à un défi spécifique, et non pas d’intégrer des facteurs de cohérence et de durée. Ces mesures réactives sont nécessaires pour limiter les effets de la crise mais ne sont pas résilientes.
Les constructions de digues sur les territoires côtiers après la tempête Xynthia en 2010 en sont un exemple. Cette mesure, qui est un réflexe historique, permet de combattre les intempéries en faisant office de rempart. Néanmoins, cela n’est pas une solution durable ni résiliente, alors que selon Yann Deniaud, chef de la division risques hydrauliques et aménagements chez Cerema, “20 % des habitations situées dans ces zones [en métropoles] sont de plain-pied, dépourvues d’étages pour se réfugier en cas de submersion”. [Article Ouest France]
“Bâtir des territoires résilients ne signifie pas seulement les ajuster face à la pandémie en cours, mais apprendre à rendre la ville adaptable en continu, la transformer en un système souple, multiscalaire et organisé pour réagir aux autres chocs à venir”
Luc Gwiazdzinski, géographe et urbaniste à l’Université de Grenoble
Il faut noter que certaines mesures prises durant les crises peuvent persister sur un territoire. Le télétravail développé durant la crise sanitaire du COVID 19 en est un exemple. Cette forme de travail, redessinant les dynamiques urbaines “domicile-travail”, se généralise sur le territoire et dans les entreprises, et pourrait devenir la norme.
Stratégie de résilience ou anticiper les défis
Quelles mesures résilientes adopter ?
Quels sont et devraient être les changements pour le monde de demain ? Quels sont les leviers d’action pour enrayer les propagations de virus mais aussi combattre les inégalités et entamer une transition écologique ? Quels types de métamorphoses l’espace urbain doit-il amorcer ?
D’abord utilisé en physique pour définir la capacité d’un objet à retrouver son état initial après un choc ou une pression continue, le concept de résilience appliqué à l’urbain désigne le fait d’anticiper les crises et les défis humains et territoriaux de demain. En intégrant des mesures durables, inclusives et adaptables, il a pour objectif de perturber le moins possible l’organisation des territoires. Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et directeur d’enseignement à l’université du Sud-Toulon-Var, décrit même ce concept comme étant “l’art de naviguer sur les torrents”.
De nouveaux modèles de villes plus efficaces ?
C’est en réponse à ces défis que plusieurs parties prenantes – citoyens, associations, experts, élus, entreprises – ont tenté d’inventer de nouvelles normalités. Ces différents outils à impact positif tentent de fabriquer la ville résiliente de demain, c’est-à-dire un territoire durable, adaptable et inclusif. Smart-City, Safe-City, Eco-City, Ville Malléable, Ville du Quart d’Heure en sont des exemples. Chaque modèle incarne une vision particulière de l’urbain, prônant le tout numérique pour certain et pour d’autres, le tout humain. Ces stratégies structurantes se veulent aménager un territoire résilient à tous les niveaux territoriaux. Les croiser permet de développer des solutions multidimensionnelles répondant au mieux aux enjeux et défis posés.
Pour aller plus loin : Article Guide ADEME – « Demain mon territoire »
Exemple : Le plan de résilience de la Mairie de Paris, membre de 100 Resilient Cities
La Mairie de Paris, membre de l’ONG 100 Resilient Cities, s’est dotée d’un plan de résilience. Ce plan s’articule autour de 3 piliers :
– Une ville inclusive et solidaire, qui s’appuie sur ses habitants pour renforcer sa résilience
– Une ville construite et aménagée pour répondre aux défis du XXIème siècle
– Une ville en transition qui mobilise l’intelligence collective, adapte son fonctionnement, et coopère avec les autres territoires
Le département de la Gironde, Montpellier Méditerranée Métropole, Métropole Européenne de Lille ont également développé des stratégies de résilience.
[Stratégie de résilience de Paris]
De résilience à résiliences
La résilience se trouve donc dans une réflexion multidimensionnelle, se nourrissant des différents courants de la fabrique urbaine. Elle se conjugue au pluriel. Elle résulte d’un raisonnement par l’impact se basant sur le caractère durable, inclusif et adaptable des projets. Prendre en compte les parties prenantes concernées, l’échelle et les spécificités du territoire est essentiel pour développer une stratégie résiliente adaptée. La conception résulte donc d’une coproduction entre acteurs ayant débattus et négociés le sujet : “un droit à la ville” défendu par de nombreux experts.
“La résilience consiste en la capacité à se remettre en cause et à remettre en place un système de dialogue avec les parties prenantes”
Christophe Bultel, Directeur Conseil de l’agence Epiceum l’Anti Com’ à Nantes et spécialiste dans le domaine de la communication de crise – Article les points sur les i
Exemple : Le service IREMBO au Rwanda
Une illustration de mesures résilientes est la politique de dématérialisation des services administratifs au Rwanda, avec la création en 2016 de IREMBO. Ce portail d’administration en ligne mondialement reconnu, met plus de 100 services gouvernementaux à la portée de tout citoyen. Il s’est avéré particulièrement pertinent lors de la crise sanitaire – l’espace ayant été conçu 4 ans auparavant. A noter, cette application intègre la technologie USSD qui permet d’accéder à la plateforme à travers de simples téléphones, et non pas seulement des smartphones.
Exemple : Le plan de résilience du comté de Miami-Dade
Le comté de Miami-Dade en Floride, Etats-Unis, a aussi développé un plan de résilience, nommé Resilient 305 Strategy. Il se démarque par sa gouvernance qui est issue d’une collaboration intergouvernementale, communale et communautaire. Le comté a élaboré la stratégie avec différentes parties prenantes afin de s’assurer qu’elle reflète tous les besoins de la population. Cela est d’autant plus important que ce territoire se démarque par sa diversité ethnique et son multiculturalisme.
+7° en 2100, l’urgence climatique comme enjeu de résilience du siècle
Avec une estimation de hausse des température de +7° en 2100, la résilience face aux enjeux climatiques sera un immense défi à relever par les villes et leurs habitants.
Pour aller plus loin :
Une première étape concrète, possible dès à présent, est la mise en place de stratégies de “Confort d’été 2050” dans les nouveaux projets, à l’image de objectifs fixés par la SOLIDEO sur les ouvrages olympiques de Paris 2024.
Liens complémentaires
- La résilience selon UN Habitat
- Résilience Sobriété Inclusivité Nos convictions pour réinventer nos territoires après la crise – La gazette des communes
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